Les
armoiries du chapitre
de Notre-Dame de Vitry
Comme la plupart des communautés religieuses, le chapitre de
Notre-Dame de Vitry-le-François avait des armoiries qui étaient
d'azur à une Vierge, tenant l'enfant Jésus et le sceptre,
habillés d'or, couronnés de même, surmontée
de sept étoiles de même, rangées en demi-cercle.
La Vierge supportée par un croissant d'argent, accostée
à dextre d'une moitié des armes de Navarre et à
senestre des armes de Champagne ; sous le croissant, un vautour empiétant
un lapin d'argent. Pour autant, l'histoire de leur adoption apparaît
assez tardivement et semble s'inscrire dans le cours mouvementé
de l'Armorial général de 1696.

Armoiries du chapitre de
Notre-Dame de Vitry dessinées à l'occasion de leur enregistrement
dans l'Armorial général en 1699.
Archives départementales de la Marne, G 1528
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Armoiries
du chapitre collégial dessinées par Laurent Granier, héraldiste (2008)
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Au
mois de novembre 1696, en effet, Louis XIV promulgue un édit
ordonnant le recensement de toutes les armoiries françaises afin
qu’elles fussent enregistrées dans un immense recueil,
l’Armorial général. Au-delà de la
volonté du souverain de connaître l’ensemble des
armoiries portées par ses sujets, le souhait de son principal
instigateur, le contrôleur général des finances
Pontchartrain, était de créer un édit fiscal permettant
de renflouer les caisses du royaume affaiblies à la suite des
guerres de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697). Personnes physiques
ou morales, sujets nobles ou non-nobles dotés d'armoiries (1)
furent donc dans l’obligation de les faire enregistrer en payant
à cette occasion un droit qui dépendait de la qualité
du possesseur : 50 livres par armoirie de communauté ou de corporation,
25 livres pour les communautés religieuses et 20 livres pour
les particuliers. Les contrevenants devaient payer une amende de 300
livres et se voyaient confisquer leurs biens meubles armoriés.
Ceux qui souhaitaient ensuite faire modifier leurs armes devaient à nouveau les faire enregistrer et payer ce droit.
Le travail, confié à Charles-René d’Hozier
(1640-1732), nommé pour l’occasion garde de l'Armorial
général de France, suscita de nombreuses réticences
tout au long de l’année 1697 à tel point que, le
3 décembre, un arrêt du Conseil du roi décida, dans
chaque intendance et généralité, la création
de « rôles » où seraient inscrits les noms
de toutes les personnes censées porter des armoiries et leur
laissant huit jours après la publication de ces rôles pour
faire enregistrer leurs armes sous peine de s’en voir attribuer
d’office. Nombreuses furent alors les personnes ou les communautés
qui n’avaient jamais porté d’armoiries qui se virent
d'en l'obligation d’en adopter. Des émeutes eurent parfois
lieu dans certaines généralités. Finalement, le
17 décembre 1699, le Conseil du roi promulgua un nouvel arrêt
dispensant les personnes jugées trop modestes pour faire usage
d’armoiries. La mesure périclita et fut définitivement
abandonnée en 1709. Au total, ce sont 120 000 armoiries qui avaient
néanmoins été enregistrées dans l’Armorial
général (2).
Le chapitre collégial de Vitry-le-François fut concerné
par cette mesure et dut aller faire enregistrer ses armoiries à
Châlons-en-Champagne, auprès d’un des nombreux commis
de Charles d’Hozier. Le registre original de cette généralité,
conservé à la Bibliothèque nationale de France,
a fait l’objet de deux publications principales, la plus complète
étant celle d’Edouard de Barthélemy en 1862 qui
attribue au chapitre de Notre-Dame de Vitry les armoiries blasonnées
plus haut. Les chanoines de Vitry reçurent un double de cet enregistrement,
document aujourd’hui conservé aux Archives départementales
de la Marne sous la cote G 1528 et sur lequel est peint un écu
aux armes du chapitre de Vitry-le-François.
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Rôle
de la généralité de Châlons attestant
de l'enregistrement des armoiries par le chapitre de Vitry le
16 mai 1699 et cachet du chapitre.
Archives
départementales de la Marne, G 1528
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Mais
la date de l’enregistrement, le 16 mai 1699, apparaît comme
relativement tardive, postérieure à l’arrêt
du 3 décembre 1697, ce qui laisse penser que les chanoines durent
se résoudre de mauvaise grâce à cette démarche.
L’aspect même de leurs armes incite à croire que
la communauté canoniale ne portait pas d’armoiries particulières
et qu’elle reprit pour l’occasion une iconographie développée
d’abord sur les sceaux du chapitre, puis reprise partiellement
sur différents éléments de son mobilier comme en
témoigne la présence d’une Vierge à l’Enfant
supportée par un croissant de lune sur les cloches du XVIe et
du XVIIe siècle. En effet, si le moulage du premier sceau connu
du chapitre (XIIIe siècle) est plutôt partiel, l’empreinte
d’une matrice utilisée au plus tard en 1512 montre une
Vierge couronnée, debout de face, sur un piédouche, présentant
de la main droite une pomme à l’Enfant Jésus, nimbé,
vu de profil, assis sur son bras gauche (3).
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Sceau du chapitre
de Vitry (XIIIe siècle)
Archives nationales, sc/D 7356
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Sceau du chapitre
de Vitry (XVe siècle)
Archives nationales,
sc/Ch 1882 |
Détail de l'une des trois
cloches de la collégiale. |
Le
champ, mi-parti de Navarre et de Champagne, rappelle que le chapitre
a été fondé par la comtesse de Champagne. Plus
intéressant encore est la symbolique du contre-sceau représentant
un rapace, les ailes repliées, la tête baissée,
empiétant un lapin, tous deux de profil à droite. L’allusion
allégorique met clairement en évidence un aspect du bestiaire
médiéval christianisé, celui du triomphe de la
foi sur les sens, celui de la chasteté (le rapace) sur la luxure
(le lapin). Tout porte à croire que les chanoines décidèrent
donc, en 1699, de fusionner les différents éléments
composant le sceau et le contre-sceau utilisé par le chapitre
de Vitry-le-François au début du XVIe siècle.
Arnaud
BAUDIN
(1)
Contrairement à une idée largement répandue depuis
le 19 juin 1790, l'usage des armoiries ne fut en effet jamais réservé
à la noblesse et, dès le Moyen Âge, nombre d'artisans
et de bourgeois, de villes, d'institutions et de communautés
religieuses en portent.
(2)
Pour en savoir plus sur la question de l'Armorial
général de 1696, voir le numéro 67-68 de la
Revue française d'héraldique et de sigillographie
(1997-1998) qui lui a été entièrement consacré
(Actes de la table ronde de la SFHS, Paris, 23 novembre 1996). Par
ailleurs, l'intégralité de l'Armorial général
est disponible sur le site Gallica de
la Bibliothèque nationale de France.
(3)
Archives nationales, sc/Ch 1882 et Ch 1882 bis.