En ce début du XIIIe
siècle, Vitry-en-Perthois est un bourg prospère, niché
contre la butte que domine le château et que contourne la rivière
de Saulx qui serpente à ses pieds. Principale agglomération
du Perthois, Vitry appartient depuis 1077 au domaine des comtes de Champagne,
lesquels l'ont alors érigée en chef-lieu de châtellenie
puis de prévôté . En raison de cette situation stratégique
et politique privilégiée, Vitry n'a pas été
épargnée par les malheurs de la guerre, notamment en décembre
1142 lorsque le roi Louis VII, en lutte contre le comte Thibaud II,
mit le feu au bourg, provoquant la mort d'une grande partie de la population
réfugiée dans l'église.
Lorsque, en novembre 1212, la comtesse
Blanche de Navarre fonde une collégiale au château de Vitry,
deux chapelains desservent déjà la chapelle castrale depuis
la fin du XIIe siècle. Avant cette date, les établissements
religieux sont peu nombreux et de fondation ancienne à l'intérieur
ou à proximité du bourg. Il y a bien sûr les deux
églises paroissiales, deux petits prieurés clunisiens
ainsi qu'une Maison-Dieu. La création du nouveau chapitre achève
le mouvement amorcé par le comte Henri le Libéral au milieu
du XIIe siècle. Face à l'essor des grands courants réformateurs
cisterciens, prémontrés ou templiers favorisés
par ses prédécesseurs, Henri Ier donne un souffle nouveau
à la vieille institution des chapitres séculiers, ébranlée
par la Réforme grégorienne. Quelques collégiales
champenoises prestigieuses s'inscrivent alors dans cette politique religieuse
engagée par le Libéral, parmi lesquelles Saint-Quiriace
de Provins, Saint-Maclou de Bar-sur-Aube et surtout Saint-Etienne de
Troyes, la chapelle du palais fondée en 1157 pour devenir la
dernière demeure de la dynastie. Alors que les collégiales
de Troyes et de Provins répondent au désir du comte de
créer des centres administratifs dont les chanoines sont des
agents reconnaissants et fidèles, il semble bien que, dans le
cas de Vitry, les motivations de Blanche de Navarre aient été
de renforcer l'encadrement urbain d'une zone dépourvue de grande
agglomération en donnant au bourg les moyens de son développement.
Ecartée définitivement de l'itinéraire des foires,
Vitry ne pouvait espérer au début du XIIIe siècle
atteindre un quelconque poids économique. C'est pourquoi l'arrière-pensée
de la comtesse devait plutôt se situer sur le terrain militaire,
la position géographique de Vitry aux confins du Barrois offrant
au comte de Champagne un dernier rempart ou bien une première
forteresse face aux terres mouvant de l'Empire.
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Charte de fondation de la collégiale de Vitry par Blanche de Navarre (1212), Archives départementales de la Marne, G 1525
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Le pape Honorius III ayant pris la collégiale
de Vitry sous sa protection en 1217, Thibaud IV confirme la fondation
de sa mère en mai 1223 et prévoit la réduction
de cent à trente du nombre des prébendes. Depuis les Xe-XIe
siècles, en effet, les canons du concile d'Aix-la-Chapelle (816)
prescrivant aux chanoines de vivre en communauté ne sont plus
suivis. Chaque chanoine dispose donc d'une prébende sur laquelle
sont attachés des revenus précis qui peuvent reposer sur
un village entier ou bien sur une maison à louer ou un péage.
La charte de fondation du nouveau chapitre réserve au comte le
choix des prébendiers et des dignitaires (prévôt,
chantre, trésorier). Car, si le doyen est élu par la communauté,
le comte de Champagne trouve dans la nomination des simples chanoines
ou des grands officiers capitulaires le moyen de récompenser
ses protégés par des prébendes lucratives.
Trop à l'étroit à
l'intérieur de l'enceinte castrale où il avait été
créé, le chapitre Notre-Dame est autorisé, en novembre
1227, à quitter le château pour un faubourg de la ville
basse. Le quartier canonial, dès lors installé dans la
rue du Rachat, se composait de l'église et du claustrum autour
duquel s'organisaient les maisons canoniales et le cimetière.
En effet, si les chanoines se retrouvaient aux heures canoniales pour
prier en chapitre, dans le choeur de l'église, les prébendes
permettaient à chacun d'entre eux de disposer d'une maison particulière.
La translation effectuée, le chapitre prit l'habitude en souvenir
de ses origines de se rendre tous les ans en procession au château
de Vitry le jour de l'Ascension.
Les fonctions pastorales des chanoines
de Vitry ou d'ailleurs étaient secondaires. Ils exerçaient
en revanche une influence primordiale dans le domaine intellectuel depuis
qu'Honorius III leur avait confié en 1223 la direction des écoles
de la ville. Les chapitres canoniaux constituaient donc au Moyen Âge
un vivier de prélats et de dignitaires, ce qui signifie probablement
que la grande figure épiscopale que fut Philippe de Vitry ait
été formée au sein du chapitre Notre-Dame .
L'histoire du chapitre s'inscrit à
la fin du Moyen Âge dans le cours tragique des événements
qui scellèrent le destin de Vitry-en-Perthois. Incendiée
en 1420 par les troupes anglo-bourguignonnes, la collégiale fut
à nouveau brûlée en juillet 1544 par l'armée
de Charles Quint. La décision prise en 1545 par François
Ier d'abandonner la ville pour la reconstruire trois kilomètres
au sud prévoyait le transfert du chapitre à Vitry-le-François.
Après avoir vigoureusement protesté, les chanoines obtinrent
le droit de restaurer leur église mais durent consentir à
quitter Vitry-le-Brûlé dans le courant du XVIIe siècle.
La fondation de la comtesse Blanche devait à son tour renaître
de ses cendres.
Arnaud BAUDIN